Chapitre 5 : L'environnement de la mémoire

Présentation

UN ARRIÈRE PAYS A GÉRER : NOS SOUVENIRS 

- - - - - - Les souvenirs terreau

La gérance du souvenir dans le grand âge

Jacques LACARRIERE, dans un livre au titre révélateur :"Un jardin pour mémoire", part de son jardin et particulièrement du tilleul de son jardin. Et ce sont des fouillis de souvenirs qui remontent. Souvenirs personnels des quelques jours du débarquement et de l'arrivée des américains à Orléans, souvenirs de la grande histoire vue par le jeune garçon qu'il était alors.

"Ce sont des fouillis de mémoire qui remontent ".

A 75 ans, soit plus de 50 ans plus tard, les souvenirs remontent en flots continus, enrichis de toute l'expérience, de la réflexion, de la vie, prenant une dimension nouvelle. Beaucoup de personnes le constatent en avançant en âge, les souvenirs anciens semblent remonter en quelque sorte avec plus de facilité. Quelques-uns sont tentés de prendre cette remontée de souvenirs pour une sorte de signe annonçant la dégradation de leur mémoire. En réalité, ils entrent dans une nouvelle phase du travail de la mémoire au cours d'une vie. Après avoir été surtout performante pour accumuler des informations nouvelles, la mémoire se trouve maintenant une nouvelle utilité . Il lui importe moins d'accumuler de nouveaux souvenirs. Il lui importe de retrouver les souvenirs accumulés .,Elle doit maintenant en trouver le sens qui ne pouvait apparaître au temps où se vivaient les événements. C'est la construction progressive de l'image de toute la vie. Oeuvre indispensable pour assurer son identité, se reconnaître au milieu des changements, des mouvements de la vie. Parfois les plus âgés semblent se répéter. Ce n'est bien souvent que l'envers d'un travail de construction intérieure qui échappe aux regards superficiels. Son rôle est pourtant important lorsque l'on s'approche lentement du terme de sa vie. Un besoin intérieur naît de faire le point, de réécouter les souvenirs qui, par leur force émotionnelle, nous aident à vivre aujourd'hui; de réévaluer des jugements que nous avons maintenus toute notre vie, mais qui, à l'heure de la mort, peuvent être revus, de nous réenraciner dans les souvenirs clés qui nous garantissent sur notre identité au moment ou tant de choses semblent vaciller autour de nous. Ecouter la personne âgée : tout le monde a cité la fameuse phrase d'Empaté Bâ : "Un vieillard qui meurt, c'est une bibliothèque qui brûle". Mais c'est trop souvent une fois les personnes décédées que l'on regrette de ne pas avoir pris le temps de les écouter. Ils savaient tant de choses. Surtout, une occasion a été perdue d'aider une personne vieillissante à remettre de l'ordre dans ses propres souvenirs, à se réenraciner en elle-même, à assurer l'unité de cette multitude d'événements qui ont fait sa vie, et constituent son identité d'aujourd'hui. Respecter ce travail d'unité qui se réalise en elle : la construction du puzzle est une tâche prioritaire de la mémoire. Elle ne peut se faire que lentement, et le regard des autres, leur interrogation respectueuse est un soutien considérable dans ce travail. Un regard extérieur nous amène superficiellement à juger régressif cette longue et permanente remontée vers le passé. Il s'agit pourtant bien souvent du travail spécifique de la mémoire de l'âge. Les événements de la vie se vivent souvent 3 fois : le moment où on les prépare, le moment où on les vit, et le moment où, le temps venu, on les reprend pour comprendre le sens et la portée de ce que l'on a vécu. C'est souvent à cette dernière étape que nous assistons dans cette écoute de la mémoire de l'âge. Encourager par notre intérêt le retour de tant de souvenirs. Ils peuvent nous paraître lointains, mais ils ne sont que le terreau plus profond dans lequel notre propre mémoire s'enracine. L'encouragement de notre écoute est sans doute la meilleure façon d'accompagner ceux que nous aimons et qui vont nous quitter prochainement..

"Encourager le dialogue enfants et personnes âgées"

 

Est-ce que la mémoire arrange le passé avec l'âge?

Il est parfois bien difficile de faire la distinction entre de réels souvenirs personnels d'événements qui nous sont arrivés, et le souvenir que nous avons de ce qui nous a été raconté plus tard. Sans doute aussi parfois, notre souvenir accole des événements qui ont pu être séparés par des mois ou des années, mais qui avec la perspective du temps peuvent nous paraître proches ou concomitants. C'est ainsi que nous pouvons reconstruire, avec beaucoup d'innocence, des événements qui ne se sont jamais passés comme nous nous les rappelons. Quel effroi nous éprouverions si nous avions à témoigner d'événements qui se sont passés plusieurs années auparavant, notre parole étant retenue pour juger de la culpabilité ou de l'innocence de quelqu'un.

Ne nous le cachons donc pas : la mémoire, au fil des années, reconstitue, déplace, transforme les événements. Est-ce une raison pour ne pas lui faire confiance ?

Certes non. Il y faut un peu de circonspection; ne pas hésiter à faire corroborer nos souvenirs par d'autres . S'interroger sur le pourquoi de certains oublis, qui nous semblent innocents, mais qui sont un des subterfuges souvent utilisé par la mémoire pour ne pas conserver des émotions trop perturbantes. 

- - - - - - Les souvenirs prison

Ce sont les souvenirs auxquels nous refusons, plus ou moins volontairement, droit de cité dans notre mémoire. En fait, ils ne sont pas évacués. Simplement nous nous arrangeons pour ne pas y avoir accès. Le danger est alors que ces souvenirs, présents mais non reconnus, aient alors en nous comme une vie autonome. Ils continuent d'agir, mais nous n'avons plus le moyen de les reconnaître.

 

Les refoulés :

Cet enfant qui a peur des chiens, cet adulte qui ne peut supporter l'odeur spécifique de tel parfum ou de telle nourriture, cette femme qui ne peut plus prendre les transports collectifs sans se sentir dans une situation de danger, cet adulte qui ne peut supporter l'absence de ceux qu'il aime sans se sentir angoissé, ne savent plus pourquoi ils vivent cette inquiétude ou cette peur, apparemment sans raison objective.

Leurs parents ou amis peuvent parfois leur rappeler un événement dont ils ne gardent plus trace dans la mémoire qu'ils peuvent atteindre. Cet événement dont les autres gardent le souvenir, a été comme effacé : il est trop ancien pour pouvoir être atteint par leur mémoire personnelle, ou bien il a été refoulé par leur inconscient comme trop insupportable. N'empêche, il continue de provoquer aujourd'hui des réactions qui constituent une part de la personnalité. Lorsque ces réactions deviennent trop difficiles à supporter, un travail de psychothérapie pourra devenir indispensable. Le souvenir dégagé, qui bloquait toute une part de la liberté intérieure, laisse alors la voie libre à une reconstruction personnelle.

Les secrets de famille :
"Mes parents c'est qui ?"
 


Dans quelle famille n'y a-t-il pas de secret dont on souhaite la non divulgation. Le silence s'établit, respecté par tous. Il y a alors comme un creux dans l'histoire familiale, et toute l'histoire s'enroule autour de ce trou, se reconstitue, se referme. Ces manques dans l'histoire sont souvent vécus comme de véritables traumatismes.

L'enfant auquel on a caché la vérité sur sa véritable origine, ressentira sans doute en grandissant comme une nécessité de retrouver ceux qui furent ses véritables parents. Au prix même de véritables drames familiaux. Rappelons-nous ces familles argentines dont les enfants volés par l'armée avaient été élevés par ceux-là même qui les avaient dérobés à leur famille. Le temps venu, il fut nécessaire de leur donner la possibilité de retrouver leurs "vrais parents". On n'échappe pas à la vérité de son histoire.  

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