L'ENVIRONNEMENT DE LA MÉMOIRE
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Lorsque notre attention est mobilisée pour écouter une conversation ou regarder un film, à la télévision ou au cinéma, cette attention est totalement mobilisée vers ce que nous écoutons ou regardons.
Sans que nous nous en rendions compte toutes sortes d'éléments agissent dans l'ombre pour soutenir la qualité de notre attention et au terme la fidélité du souvenir que nous en garderons. Citons un peu au hasard pour que ce soit très clair des éléments de cette ombre : ce sont les bruits environnant au milieu desquels nous privilégions la conversation, l'intérêt que nous portons au sujet abordé rejoignant des lectures antérieures, le désir de se rappeler ce qui est dit afin de pouvoir en parler avec des collègues, le confort des fauteuils de la salle de cinéma, la difficulté de stationnement pour y accéder, la connaissance que nous avons des acteurs qui nous évoquent d'autres films en d'autres lieux avec d'autres personnes..
Cet arrière pays conditionne sans cesse la qualité de notre attention et de notre mémoire.
Trois enquêtes nous ont permis de jeter un peu de lumière sur
l'influence de cet arrière pays.
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TROIS ENQUETES POUR COMPRENDRE
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ENQUETE 1
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Interrogés pour savoir s'il y avait " des événements qui avaient influé sur leurs difficultés de mémoire actuelle, 4 personnes sur 5 répondent que oui, explicitent la nature de l'événement et le datent.
Quels événements semblent jouer un rôle dans l'histoire de nos difficultés de mémoire ? Ce sont des événements qui nous perturbent, nous déstabilisent. Sont ainsi énoncés au fil des témoignages : une maladie, un deuil particulièrement difficile à accepter, un déménagement, l la mise brutale à la retraite, une ou plusieurs anesthésies . Nous le savons maintenant, cet arrière pays de l'histoire de notre vie peut parfois handicaper durablement le fonctionnement libre de notre mémoire.
Il ne servirait alors pas à grand chose de vouloir régler notre problème de mémoire à coup d'exercices.
Attachons nous à retrouver notre équilibre intérieur, et redevenus libres, notre mémoire jouera son rôle sans même que nous nous en apercevions.
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ENQUETE 2 : Mémoire et vie relationnelle
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Une longue enquête au Pérou nous avait conduits à nous demander quel rapport il pouvait bien y avoir entre la mémoire et notre relation habituelle à notre environnement.
Le résultat se lit dans le tableau ci dessous :
Notes à un questionnaire mémoire
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Moyenne de la note d'insertion sociale
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0 à 9
10 à 19
20 à 29
30 à 39
40 à 50
50 à 61
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9,50
13,71
14,26
17,29
17,87
19,52 |
Statistiquement, là où la mémoire est faible,
l'insertion sociale, c'est à dire la qualité de la relation avec les autres et avec le milieu social environnant, est faible. Au fur et à mesure que s'améliore la qualité de la relation, la mémoire améliore ses performances. Bien souvent, ce n'est pas notre mémoire qui nous lâche, même si c'est le symptôme qui nous touche. Nous nous retrouvons plus seuls, nos amis sont plus lointains, les relations du travail ont cessé avec la mise à la retraite, un déménagement nous a coupés de notre famille et de nos amis. Petit à petit nous demandons moins à notre mémoire et tout doucement elle s'installe dans la non mobilisation qui s'affaisse alors comme comme un pneu percé par un clou se dégonfle au fil des kilomètres. Penser que des exercices de mémoire vont agir un peu comme une rustine et résoudre notre problème est, là encore, une illusion.
Il sera beaucoup plus important de chercher comment reconstituer ce réseau relationnel qui nous donne les multiples occasions d'écouter, de voir, de nous rappeler d'échanger, de répondre. C'est dans ce jeu là que la mémoire s'entretient .
On voit là comment certaines situations de vie sont par elles-mêmes des machines à faire perdre toute mémoire : l'isolement, l'absence d'échange, l'inutilité sociale..
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ENQUETE 3 : Mémoires à risques
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"Le peuple des chômeurs est bien une population à risque" |
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Y-a-t-il des personnes qui soient plus en danger que d'autres de voir leur mémoire s'étioler au cours des années ?
Pour le savoir, nous avons mené une grande enquête auprès de plus de 1500 personnes, des actifs, des retraités, des chômeurs. Il est apparu que la population qui réunit le plus de risques de fragilisation de la mémoire n'est pas celle des personnes âgées comme le pensent la plupart des gens,
mais bien celle des chômeurs. Marginalisés, vivant souvent un très fort sentiment d'inutilité sociale et de rejet, ils sont bien plus en situation de risque que les retraités. Lorsqu'ils prennent conscience de ces difficultés qui s'ajoutent à leurs difficultés professionnelles, c'est un vrai découragement qui risque de s'installer compromettant leurs efforts pour retrouver un travail. En réalité, leurs difficultés de mémoire ne sont pas le signe d'une détérioration inéluctable, mais celui d'un appauvrissement lié
à leur rupture avec l'environnement. Ce ne sont pas les appels à l'effort, ni les exercices qui redonneront du dynamisme à cette mémoire engluée dans l'échec. Travailler à sortir de la situation d'échec, retrouver confiance en soi, s'appuyer à nouveau sur des relations créées par la vie : les voisins, les courses, les vacances, les formations, les clubs..Ce
maillage au quotidien de nos journées
par des rencontres stimulantes serviront de déclencheurs permanents de notre fonction mémoire. C'est la voie royale d'une remobilisation de neurones, devenus chômeurs eux aussi, par manque d'occasion de servir.
Des professions dangereuses
: Quitter la vie professionnelle est, de toutes façons, une rupture avec un milieu toujours stimulateur de mémoire.
Les contacts avec les autres, les consignes du travail, les obligations professionnelles à ne jamais perdre de vue : calendrier, téléphones, noms des clients, sont autant d'occasion de mobiliser, sans bien même nous en apercevoir, une fonction mémoire, plus ou moins performante, mais avec laquelle nous vivons depuis le commencement de notre vie.
La rupture de ces liens et de ces occasions de retenir constitue comme la mise à mal d'un système permanent de stimulation qui fonctionnait vaille que vaille depuis notre entrée au travail.
J'avais, sur le plan professionnel, une mémoire exceptionnelle. Je connaissais pratiquement par cour le. nom de tous les personnels de l'entreprise dans laquelle je travaillais. Les N° de téléphone de la clientèle se fixaient en moi sans effort. Les codes obligatoires à retenir des quelque 2000 articles de notre catalogue n'avaient pas de secret pour moi.
Par contre, ma mémoire familiale était nulle : c'est tout juste si je retenais les anniversaires essentiels de la vie familiale. Savoir le menu du dernier anniversaire dépassait complètement mes moyens. Heureusement j'avais ma femme. Elle veillait à tout et se rappelait tout.
Retraité depuis 2 ans, je n'ai plus de mémoire professionnelle, je n'ai toujours pas de mémoire familiale. Je suis un homme sans mémoire
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Certaines professions sur ce plan sont encore plus à risque que d'autres : celles qui en même temps qu'elles impliquent un gros investissement affectif, sont en fait l'occasion permanent de notre travail de mémoire.
L'enseignant qui écoute les informations ou lit sa documentation en pensant sans cesse à la façon dont il utilisera ces informations dans son enseignement, vit en quelque sorte pour sa classe. L'infirmière qui retient les noms de ses malades et les médicaments qu'elle doit leur porter, sans cesse contrainte à retenir de nouvelles données, mémorise en chaque instant, simplement pour faire son travail avec humanité.
Lorsque, à leur entrée en retraite, les élèves sont ôtés aux enseignants, les malades aux infirmières, c'est le
déclencheur permanent de l'activité mémoire quotidienne
qui disparaît, en même temps que l'urgente obligation de renouveler ses connaissances. Il faudra rapidement que d'autres déclencheurs prennent la relève sous peine de diminutions plus ou moins rapide des performances de mémoire, voire sous peine de moments dépressifs qui entraîneront dans leur sillage des pertes significatives de mémoire.
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