Textes Intégraux

Martine SOUDANI, Gérontologue

Animer... ou rendre la vie au quotidien

 

"L'inadaptation est l'absence de bonne intégration et de relations adaptées et harmonieuses avec le milieu où vit le sujet. L'inadaptation peut être scolaire, familiale, sociale ou professionnelle. Elle est classée en trois grands types. Celle qui tient au milieu, celle qui tient à la personne et celle qui tient aux deux."

Jacques Postel

Dictionnaire de Psychiatrie - Éditions Références Larousse,
Collection Science de l'Homme, Février 94, pp. 276-277.

 

L'animation est le soin de l’inadaptation

L'animation à l'hôpital, dans une structure d’hébergement pour handicapés, ou une résidence pour personnes âgées est le soin de l'inadaptation de l'individu au milieu. L'inadaptation peut être due aux infrastructures (locaux aseptisés, cloisonnement des hôpitaux et lieux d’hébergement vis-à-vis de l'extérieur), au comportement des professionnels langage verbal et attitudes, à des facteurs propres à la personne qui est résident (image de soi). L'animation a pour objectif global de dynamiser la structure d'accueil et de susciter l'envie de vivre aux résidents ( "animo", est donner la vie en latin). L'animation est non seulement un soin, c'est un projet d'établissement qui comporte l'aménagement de la structure et son ouverture sur l'extérieur, la formation des intervenants, la création d'activités, véritables piliers de la démarche de soin.

L’inadaptation du fait des infrastructures

Nos structures de soins, ou d'hébergement, offrent un cadre de sécurité médicale. Les locaux sont généralement bien entretenus, les moyens techniques sont performants, les soins somatiques sont de qualité. Mais ces structures sont aussi souvent des lieux dénués de vie. Il existe en effet une sorte de barrière entre le monde de l'hôpital (ou de l'institution) et la vie à l'extérieur.

Les résidents, qu'ils soient des malades, des vieillards ou des personnes handicapées, sont polarisés sur leur corps souffrant, et déficient. Ils vivent en marge de la société, de ce qui était leur quotidien. En plus, le regard des autres, les biens portants (c'est-à-dire les soignants et les aidants) a changé depuis qu'ils ont franchi l'enceinte de l'hôpital ou de l'institution. Ces résidents sont considérés comme inaptes à la société, et ils sont immergés dans un monde différent, comme "aseptisé". La maladie, I’incapacité a bouleversé leur quotidien et perturbé leur avenir. Leurs activés habituelles sont arrêtées et remplacées par les soins et les horaires de l'établissement. Leurs repères (préoccupations et intérêts) sont devenus les changements d'équipes, la toilette, la visite du médecin, les repas. Leurs sensations sont modifiées. Les odeurs sont différentes de celles de la maison ou de la rue. Le mobilier est fonctionnel mais sans "histoire". Leur rôle a changé.

Ces résidents sont aussi " inadaptés " dans ces structures qui ne correspondent pas à leurs besoins habituels. Ils appartiennent au groupe des soignés et non à celui des autres, dont la plupart sont en blouse blanche. Leur identité se fragilise. Ils sont en rupture avec leur propre histoire. Leurs projets sociaux, intellectuels, ou artistiques, voire métaphysiques, sont inexistants ou arrêtés.

Ce monde ainsi décrit est un monde sans couleur, sans enthousiasme, sans épanouissement, où il est difficile de vivre. "Dans de telles conditions un être humain ne peut que régresser ou. . . mourir" (Plotin) .

>L’inadaptation du fait du comportement des soignants et des intervenants non professionnels

Lors de la vieillesse, de la maladie ou du handicap une personne, quel que soit son âge, est confrontée aux pertes (physiologiques, intellectuelles...). Cette personne traverse des périodes de doute à propos de sa dignité et cette souffrance morale, en liaison directe avec le comportement de son entourage, est source de démotivation, voire de régression.

Les soignants dans leur manière d'être ont un rôle important, décisif et difficile. En effet une présence chaleureuse peut empêcher une personne fragilisée de se réfugier dans la "régression ", mais des intentions trop bienveillantes peuvent également lui être nuisibles pour deux raisons. La première raison est qu'un excès de bienveillance empêche de définir des repères avec les limites de ce qui est possible de faire ou ne pas faire, en fonction des déficiences et du contexte. Donner trop de liberté d'action à une personne âgée, malade ou handicapée, est la mettre en situation d'échec.

C'est lui offrir des possibilités irréelles, qu'elle ne pourra obtenir au moment voulu. La deuxième raison est qu'un souci de protection entrave l'autonomie : " Attendez ne le faites pas, vous êtes trop malades! ".

De même, certaines attitudes, le plus souvent implicites, peuvent être également influencées par des idées préconçues telles que : les déments sont indifférents à leur entourage, l'avance en âge est synonyme de régression, ou encore qu'une personne handicapée ou malade ne peut être autonome.

Ainsi l'entourage soignant ou non professionnel peut nuire par excès de banalisation. "Un vieillard n'est plus capable de montrer sa peine, son déplaisir ou ses joies ". Par excès de dédramatisation il existe un trop-plein de stimulations, associé à des réflexions sur la lenteur de la personne âgée qui n'arrive pas à suivre. Par un manque d'évaluation des capacités, la participation à une activité est décidée malgré l'évidence du mal être de la personne (les douleurs, la fatigue, le mauvais équilibre d'un traitement qui l'empêche de maintenir son attention). Par manque de temps, les soignants ont tendance à faire les choses à sa place.

Une personne fragilisée se ressent comme incompétente socialement lors de telles attitudes. Son estime de soi se dégrade, elle est freinée dans son élan vital, devient passive. Et faute de pouvoir s'impliquer dans son environnement, elle exprime son besoin de communiquer par son corps. Sa régression peut également évoluer vers une désorganisation psychique et comportementale telle, que chez le vieillard elle peut évoquer une affection démentielle.

L’inadaptation du fait d'un bouleversement de l'image du corps

L'image du corps se structure au cours du développement de la personne. C'est une représentation mentale par la personne de son corps, et c'est aussi la synthèse de tout son vécu relationnel. Elle est propre à chacun et est intimement liée à l'histoire de vie. L'image du corps s'affine et s'organise lors des activités quotidiennes, qui sont, entre autres, les relations avec l'entourage et les stimulations sensorielles. Elle dépend de l'adaptation de la personne à son milieu. Elle peut donc se dégrader brutalement suite à un traumatisme physique ou psychologique ou suite à un changement d'habitudes de vie.

Un monsieur de 78 ans se définit lui-même comme un vieillard.
"J'ai peur de tomber, je tremble, j'ai des pertes de mémoire".
L'examen clinique et les diverses explorations éliminent une pathologie pouvant expliquer ses troubles de la marche et de l'équilibre. Les tests mémoire n'objectivent pas de maladie dégénérative. Son histoire révèle que ce monsieur, ayant une vie sociale très riche, se reposait entièrement sur son épouse pour l'organisation du quotidien. Cette dernière a eu une hémiplégie suite à un accident vasculaire. Il doit désormais tout assumer. Sa prise en charge comporte un atelier mémoire (pour qu'il reprenne confiance en ces capacités intellectuelles et puisse à nouveau élaborer des projets) et une activité de gymnastique douce.

Le sujet dans de telles circonstances, s'interroge en effet sur sa propre image. Parfois il ne se reconnaît pas dans son enveloppe corporelle et ne peut établir de lien entre cette image du corps qui est son Moi, et son schéma corporel qui est la réalité de son corps.

Il existe une sorte de "désafférentation" du sujet avec l'environnement. Il ne ressent pas les stimulations de l'environnement. Il paraît ne pas habiter son corps (Nous avons tous rencontré des personnes qui ne réagissent pas aux stimulations, qu'elles soient des enfants autistes, des personnes âgées qui regardent avec des yeux "vides"...).

Or le sujet qui ne ressent pas, ne peut avoir des comportements adaptés à son environnement. Il ne peut communiquer. Il a des difficultés à se situer dans l'espace. Il a aussi parfois des troubles de l'équilibre. Il est seul parmi les autres et ne peut exprimer son mal être que par des maux. Son corps souffre, lui semble étranger et est incontrôlable. En tant que soignant, il est important d'établir les relations entre certains symptômes (voire syndromes) et la désorganisation de l'image de soi. Certaines formes d'incontinence, certaines chutes, certaines douleurs, certains troubles gastro-intestinaux, certaines dénutritions... doivent attirer plus particulièrement notre attention.

 

L'animation est un projet d'établissement

La première étape d'un projet d'animation consiste en une réflexion sur les besoins et désirs des malades - qui sont à la fois des résidents et des personnes - et sur le milieu que l'institution leur propose. Toutes les personnes intervenant dans la structure doivent y participer (le personnel administratif, les cuisiniers, les jardiniers, les soignants, les familles, les bénévoles ...)

L’animation concerne aussi bien les structures d'hébergement que des services spécialisés comme la pédiatrie, la psychiatrie, la réanimation, la cancérologie... Ses objectifs sont l'organisation de la structure, la relation soignant-soigné, la restauration de l'image du corps.

La réorganisation de la structure

Il s'agit de transformer les services hospitaliers ou les structures d'hébergement en lieu de vie. "L'important c'est que les personnes âgées se sentent chez elle" {Charlotte Mémin), mais aussi que les malades ou les handicapés se sentent chez eux!

L'animation de la structure comporte plusieurs aspects:

  • L'aménagement des locaux communs avec par exemple une décoration chaleureuse réalisée grâce au choix des revêtements muraux, la disposition d'objets divers comme des tableaux, des plantes, la sélection des matériaux, privilégiant par exemple le bois au métal.
  • La création d'espaces de restauration permettant de proposer des repas qui sont des moments de plaisir et de réconfort.
  • La création de points de rencontre comme des coins-salons dans les parties communes, une salle de télévision, une cafétéria.
  • La création d'espaces permettant de suivre le rythme des saisons avec des espaces verts comprenant des fleurs, mais aussi un jardin potager.
  • L'introduction d'animaux domestiques dans les lieux communs.
  • L'ouverture sur l'extérieur avec un kiosque à journaux, I'accueil de musiciens, I'accueil d'associations, la création d'un journal distribué aux résidents et à leur entourage, la réalisation d'activités avec des enfants des écoles avoisinantes, la création de classes scolaires dans les services de pédiatrie...
  • La possibilité d'investir un lieu personnel, la chambre. En plus d'une décoration chaleureuse, la structure doit donner les moyens de disposer les objets qui rappellent l'histoire de vie et surtout permettre de réserver unendroit personnel pour les vêtements, les objets de toilette, le courrier...
  • L'accueil des familles, etc.

 

"Le monde des vieux"

Bien que nous soyons tous concernés par le vieillissement, processus inéluctable qui survient dès, notre plus jeune âge, nous n'atteignons pas tous la vieillesse qui est synonyme de ralentissement de toutes nos fonctions. Il existe en effet dans notre société le monde des vieux et le monde des non-vieux le monde des personnes dépendantes et le monde des personnes non dépendantes.

Alors en quoi consiste le monde des vieux ? Pour beaucoup il s'agit d'un monde sans vie. C'est-à-dire sans communication, sans échange, sans intérêt, sans joie et sans enthousiasme. Un monde ou le temps qui s'écoule est angoissant car il est à la fois trop long et difficile à meubler mais aussi trop court face à la mort.

"Etre vieux, comme dit Brel, c'est aller du fauteuil au lit et du lit au fauteuil. C'est entendre le tic-tac de I’horloge"

Quand devient-on vieux ? De plus en plus tard disent les sociologues. Avant nous étions vieux lors du passage à la retraite, environ vers 65 ans. Maintenant certaines personnes s'aperçoivent de leur vieillesse vers 75-80 ans. La vieillesse en fait n'a pas d'âge, elle s'annonce lorsqu'il n'est plus possible de réaliser des projets (comme une randonnée en haute montagne), ou lorsqu'un incident de parcours survient (comme une maladie, une chute).

L'animation transforme une personne. Elle est moins angoissée. Son entourage la voit différente, sa consommation de tranquillisant diminue. Chaque malade, chaque vieillard, chaque handicapé, même celui qui nous semble le plus régressé, possède une étincelle de vie qui peut être exploitée par l'animation. Il est important que chacun d'entre nous en soit convaincu. Lorsque des personnes extérieures assistent aux activités d'un service ayant développé des techniques d'animation, combien de fois entendons-nous "Oui, mais vos personnes âgées vont bien, elles ne sont pas comme les nôtres"

 

La relation soignant-soigné

L'animation permet de susciter l'envie de vivre, et aussi de restaurer la vie. Elle peut être ponctuelle et célébrer les événements personnels (anniversaires) et collectifs (fêtes religieuses et nationales) qui sont de véritables repères pour une personne, car ils consolident leur identité. Mais l'animation est surtout permanente. C'est une technique de soin qui s'inscrit dans un projet thérapeutique. C'est un atout essentiel pour obtenir la guérison ou la réadaptation. L'animation est une façon de communiquer, une manière de considérer la personne. Elle est faite de petits gestes, d'attention, de respect de l'autre. Elle permet de rentrer en relation avec l'autre et de redonner du sens à la vie. Elle permet aussi en instaurant une confiance mutuelle entre le soignant et le soigné, d'obtenir le consentement et l’adhésion de la personne au projet thérapeutique.

L'animation au quotidien est avant tout une réflexion avec tous les intervenants afin de définir en quoi consiste l'autonomie d'un malade, d'une personne âgée ou d’un handicapé.

Tout individu, même le vieillard le plus régressif, doit en effet pouvoir évoluer dans son environnement, selon ses possibilités et ses désirs. Il doit s'adapter aux changements extérieurs et à ses changements internes. Cet individu a également besoin d'être considéré comme une personne, besoin de s'exprimer, besoin de communiquer. Son autonomie est une nécessité mais est limitée par ses déficiences. Son comportement est intimement lié à son histoire, à son identité. La tâche du soignant est de comprendre ses besoins de lui donner la possibilité de vivre son autonomie, et surtout d'admettre qu'il peut être différent.

L'animation au quotidien ne s'improvise pas, elle nécessite une formation à la communication, une formation et une réflexion sur l'autonomie et les droits de la personne soignée, des groupes de soutien psychologiques des soignants.

  • Une confiance mutuelle est nécessaire mais attention un excès de confiance peut entraîner une interdépendance peu épanouissante sur le plan relationnel.
  • L'autonomie est la capacité de la personne d'évoluer librement et de se fixer ses propres normes. Or il est très difficile de respecter l'autonomie de la personne que l'on prend en charge. Nous croyons savoir ce que doit être le comportement du bénéficiaire de nos interventions, or ce dernier peut raisonner différemment.

 

La restauration de l'image du corps

Objectif majeur de l’animation, la restauration de l'image du corps permet à une personne de réinvestir son corps et son environnement. Le corps devient acceptable, voire aimé, et il devient possible à la personne de le maîtriser, voire de le faire fonctionner. L'animation est alors un soin qui s'inscrit dans un projet thérapeutique personnalisé, tenant compte des besoins actuels de la personne, mais aussi de ses besoins futurs. Il s'agit avant tout de situer la personne dans la dynamique de son histoire, puis d'inscrire les tenants de ce projet dans sa propre vie et de fixer ses objectifs pas-à-pas. "Qui est-elle? D'où vient-elle? Où va-t-elle?"

Un monsieur veuf, récemment hospitalisé est dénutri. Il présente depuis quelque mois une déficience qui l'empêche de manger dans une brasserie. Ne sachant pas faire sa cuisine, il avait pris cette habitude depuis le décès de sa femme. Le projet thérapeutique comporte la participation à un atelier cuisine.

Le projet thérapeutique incorpore les activités d'animation existant dans la structure. Il peut s'agir d'une chorale, d'un atelier pâtisserie, d'un atelier mémoire, d'un atelier théâtre, de la poterie, de la peinture... Ces activités sont sélectionnées par les soignants en fonction des besoins des résident et s'inscrivent dans une démarche thérapeutique mentionnant leurs raisons

L'atelier quel qu'il soit, a pour objectif commun de redonner confiance à la personne en ces capacités intellectuelles et aussi parfois de lui donner la possibilité de se réaliser dans une activité créatrice, voire artistique. C'est un lieu d'expression où le soignant ne peut imposer ses idées. Ce dernier doit accepter celles de la personne prise en charge, tout en la guidant et lui donnant des repères.

La plupart des ateliers privilégient les activités sensorielles qui permettent d'affiner l'image du corps. Ils restent définis comme des lieux non médicaux dans l'hôpital. Le rythme des séances, leur organisation ont une fonction restructurante au même titre que leur espace cadré. Les intervenants y tissent une relation avec les personnes qu'ils accompagnent. Le soigné réinvestit sa vie grâce à la confiance qu'il porte pour le soignant. Ce dernier l'encourage et le soutient dans sa démarche.

L'animation a pour objectif de communiquer la vie. Elle tire la personne de sa torpeur. La torpeur est un état d'une personne chez qui la sensibilité, les activités psychique et physique sont réduites. L'animation restaure la communication et permet l'élaboration de projets. La vie d'une personne s'éteint lorsque nous ne pouvons plus rentrer en relation avec elle et lorsqu'il n'y a plus de projet. L'animation est un soin, mais aussi un projet d'établissement.

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