QU'EST-CE DONC QUE L'INTERGENERATIONNEL ?

Cherchez bien .. !

entre "interfolier" et "interglaciaire" pour ce nouveau vocable : intergénérationnel. Je me donne donc le droit non d'inventer une définition, mais de réfléchir avec vous sur le contenu d'un mot qui prend sa place en ce moment dans le vocabulaire de base du parfait gérontologue.

Après quelques réflexions nées de ma propre expérience je voudrais proposer deux axes à votre réflexion.

Il y a d'abord un contre-sens , qui me parait plein de sens. Chacun de nous traverse ce que Michel PHILIBERT avait appelé les "Ages de la Vie". Vient un temps dans l'expérience personnelle ou s'éprouve une sorte de besoin vital de faire le lien entre ces divers âges que nous avons traversés, une sorte de fil rouge, qui permette que tous ces moments échelonnés sur la ligne du temps se prennent en sens. En revivant, par le souvenir, ces mouvements qui nous ont fait passer de l'un à l'autre, chacun arrive à se dire: tout cela c'est Ma Vie. Long travail confié à la mémoire de l'âge. Sorte de travail sur l'intergénérationnel personnel. Comment chacun s'est engendré soi-même,

Chacun s'est en quelque sorte mis au jour au travers des événements et influences de la vie

au travers des évènements et des rencontres, jusqu'à devenir la personne d'aujourd'hui. La gérontologie, en ce sens, est bien la science de l'âge et des passe-âge. Science de l'engendrement. Beaucoup plus que la science du vieux.

Il y a bien longtemps qu'en gérontologie, on travaille sur l'intergénérationnel, un peu comme Mr Jourdain, sans bien le savoir. Je me rappelle nos premiers efforts avec l'Association de Gérontologie du XIIIème, il y a maintenant 15 ans, pour permettre à des retraités d'entrer dans les écoles.

Le Dr P. GUILLET aime raconter comment l'image des personnes âgées s'est transformée dans les dessins d'enfants à la suite de ce contact avec des plus âgés. Personnages réduits à une taille très inférieure aux adultes de la famille dans les dessins du début de l'année, ils étaient devenus de la même taille que les adultes dans les dessins de la fin de l'année, faits par les mêmes enfants ayant côtoyé des retraités au fil des mois.

Je me rappelle encore ces enseignants de Montélimar qui avaient décidé de travailler au rapprochement des générations sur leur ville, et avaient demandé aux jeunes de 13 ans d'interviewer les personnes âgées de leur entourage pour savoir "Comment c'était la vie quand ils étaient petits ?". Le résultat fut d'abord une extrême méfiance réciproque. "Qu'est-ce qu'on en a à faire nous desvieux," " Qu'est-ce qu'ils nous veulent ces gamins? ".

Mais qu'est-ce qu'ils nous veulent ces gamins ?

Au bout d'une année, ce fut une extraordinaire journée de présentation des résultats de ces retrouvailles entre jeunes et âgés. Journée intense de la communication retrouvée.

Il y a bien longtemps que les relations entre générations ont fait l'objet de règles, écrites ou simplement transmises d'âge en âge dans la mémoire collective. Toute organisation sociale implique co-existence, relations mutuelles, partage du pouvoir, règlement des conflits.

Et pourtant lorsque l'éthologue Boris CYRULNIK nous dit dans son livre "sous le signe du lien" : "La Vieillesse vient de naître", je crois qu'il énonce bien plus qu'une évidence. Et il commente ainsi son affirmation :

"De multiples indices permettent de soutenir que le concept de vieux est nouveau-né".

L'indice des prix, qui structure une industrie chargée de satisfaire et d'exploiter ce nouveau gisement d'or gris.

L'indice légal, où l'on voit apparaître des lois associant l'âge de la retraite avec ce curieux modèle d'homme libre et rhumatisant pris en charge par une société qui lui propose une vie de vieil adolescent, car aujourd'hui les voyages forment la vieillesse.

Enfin et surtout, l'indice culturel, qui permet de repérer dans ces nouveaux débats que la mort n'est plus une affaire de jeunes, et qu'il faudra bien formuler des règlements pour permettre aux techniciens d'offrir aux vieux une mort plus propre."

Il y a toujours eu des vieux. Les plus vieux d'hier atteignaient les mêmes âges que les plus vieux d'aujourd'hui.

Ils ont 20 à 30 ans de vie commune à prévoir et organiser. C'est là que l'on peut dire : « la vieillesse vient de naître »

Mais il est vrai que "la vieillesse" vient de naître. Cela s'est passé il n'y a pas longtemps, à partir du début du siècle. L'espérance de vie n'était encore que de 59 ans lorsqu'on inventait la retraite de la sécurité sociale à .. 65 ans vers 1945. Hommes et femmes réunis ont encore aujourd'hui une espérance de vie de près de 20 années lorsqu'ils prennent leur retraite à 60 ans.

Il y a toujours eu des vieux, et, dans certains cas, cela valait même la peine de vivre longtemps. "Maintenant que je vais avoir 70 ans, il va falloir que je fasse attention à ma mémoire. maintenant que je suis vieux, tout le monde va en avoir besoin." Etre vieux trouvait un sens évident dans la vie sociale.

Il y a toujours eu des vieux en relation avec les autres âges de la vie, mais il n'est pas faux de dire que l'intergénérationnel est né avec ce siècle, et même qu'il est encore tout à fait "nouveau-né", pour reprendre l'expression de Boris Cyrulnik.

C'est la première fois que l'âge et le grand âge étant ainsi proposés au plus grand nombre, l'équilibre de la balance jeunes-vieux commence à pencher du côté des plus vieux.

Nous avons ici 2 générations. Il faut compter aujourd'hui sur 4 ou 5 générations

Et que cela change le paysage des rues, des quartiers, de certaines régions de France, des familles qui voient se côtoyer 3, 4, voire 5 générations. "Est-ce un avantage ?" est une question qui n'a pas de sens. Cela est. La vraie question est seulement de savoir comment vont se construire ces inter-relations d'un type nouveau.

En bonne santé, Cultivés, Economiquement indépendants

C'est la première fois aussi, et cet évènement qui se produit sous nos yeux est en train de s'écrire sur la dernière ligne de le dernière page des 1000 pages du livre de l'histoire de l'homme, c'est la première fois que la société exprime clairement à ces dernières générations: « maintenant faites ce que vous voulez, moi société, je n'ai plus besoin de vous. Je vous donne votre retraite. Organisez votre vie comme bon vous semble, je n'ai plus aucun projet pour vous ». Or ceci bouleverse complètement ce contrat entre les générations qui régulait, plus ou moins bien peut-être, mais régulait néanmoins les rapports d'âge antérieurs. Le nouveau rapport de société entre générations se fait et se défait sous nos yeux. Celui de demain est sans doute en train de s'inventer.

On sait qu'il y eu des tentatives: par exemple en proposant aux générations jeunes non insérées, de s'occuper des générations âgées, dés-insérées. De nombreux TUC se sont ainsi retrouvés à s'occuper des "vieux" âgés et malades. Aucune étude n'a été faite pour savoir quelle influence ce type de rapprochement aura eu sur leur façon personnelle d'aborder la vie, et plus tard la vieillesse.

Les jeunes vieux ...

Et les vieux vieux ... !

Notre réflexion ne doit pas porter exclusivement ni même principalement sur les quelques dizaines de milliers de personnes âgées et dépendantes que nous retrouvons dans nos institutions. C'est vrai que tout ce qui se fait pour elles est de la plus grande importance. Mais la question concerne les quelque I0 Millions de plus de 60 ans, autant que les quelques 10 Millions de moins de 20 ans, et du coup aussi, tous ceux qui s'interrogent sur ce qu'est l'âge, la vieillesse, l'avenir de leur vie.

Ils ont des parents Ils ont peut-être des grands parents Les 4 générations sont interdépendantes

La société à trois étages:

ceux que l'on prépare à leur avenir,

puis ceux qui sont utiles par leur travail,

enfin ceux qui sont sortis de la société active, société blessée, et sans doute dépassée.

Et il ne suffira pas, pour que la vie prenne sens, de dire aux plus âgés: reposez-vous, distrayez-vous, cultivez-vous, voyagez. Cela constitue peut-être une réserve d'humains en survie dans des conditions satisfaisantes. Cela ne structure pas une société.

Réfléchir sur l'intergénérationnel est une réelle tâche de prévention. Dans notre pratique d'Ateliers Mémoire, nous l'avons mille fois constaté: la Plainte Mémoire exprimée est bien plus un symptôme qu'une réalité objective. Ce symptôme, lorsqu'on permet à une personne de cerner un peu son apparition, nous renvoie presque chaque fois à des ruptures de la chaîne intergénérationnelle: dans le travail, dans la société, dans la famille, dans le sentiment d'utilité. Tout cela est fondamentalement intergénérationnel. Les dernières enquêtes nous le montrent, ce qui se transforme le plus au cours de l'atelier-mémoire, ce sont dans l'ordre : l'importance du rôle dans la société, la confiance en soi devant de nouvelles situations, la joie de vivre.

Moyennant quoi, la mémoire va mieux aussi. Mais ce sont les mécanismes de la relation aux autres qui ont repris vitalité.

Venons-en aux deux pistes que je me proposais de livrer à votre attention.

Ils sont heureux aujourd'hui Avec qui vivront-ils leur temps de retraite Pour qui ?

La première pourrait s'exprimer sous la forme : " Ne pas laisser se rompre la chaîne de la communication".

La seconde : " Ne pas laisser se rompre la chaîne du Pourquoi, ou du Sens"

La chaîne de communication.

La chaîne de la communication commence bien avant la naissance, dès la fécondation, et dès le départ, elle est intergénérationnelle. La mère permet a son enfant de découvrir les limites de son corps par le contact avec les parois de son habitacle, et par ce premier toucher, il entre pour la première fois en communication avec autre que lui-même, et commence à se découvrir. Mais il inaugure aussi une nouvelle conscience d'être chez celle qui le porte. Parce qu'elle est là, il entre dans la communication. Parce qu'il est là, elle devient mère, et entre elle-même dans une nouvelle aventure de communication.

Entrer dans la communication C'est l'oeuvre de toute une vie Créer des liens ? Fabriquer des chaînes ?