Textes Intégraux

LA DÉSAFFÉRENTATION

Définition : 1986, Larousse : "Etat d'un sujet privé de système sensoriel".

Les afférences que nous recevons de notre environnement, du milieu dans lequel nous vivons sont comme des nourritures sensorielles, psychologiques, cognitives.

La désafférentation consiste en l'absence ou en la grande pauvreté des sensations atteignant le cerveau.

A partir de ces définitions, il est sûr que les désafférentations les plus évidentes proviennent d'une altération des organes des sens, interfaces entre notre système nerveux central et le monde extérieur dans lequel nous vivons.

Cependant, nous allons nous situer dans un autre champ que celui des désafférentations sensorielles et dans un domaine beaucoup plus global concernant I'isolement de l'individu par rapport à son environnement, ou l'évolution de cet individu dans un milieu appauvri en stimuli.

Ainsi, nous comprendrons la désafférentation dans le sens de la pauvreté des stimulations.

Ceci est un exemple :

L'oil reçoit 80% des informations qui nous atteignent chaque jour.

Je peux ne recevoir que peu d'informations, ne m'intéresser à rien.

Alors mon oeil est un observateur inutile

Ces situations se rencontrent en gérontologie, dans de très nombreuses circonstances, tout à fait indépendamment de l'état de fonctionnement des organes sensoriels puisqu'il s'agit d'un tarissement, à la source, de ces stimulations.

On peut donc être désafférenté en ayant de bons yeux, de bonnes oreilles etc....

On peut définir schématiquement trois types de désafférentations:

Des désafférentations intellectuelles, marquées par le manque de stimulations cognitives, par un faible niveau culturel, un manque d'intérêt et de motivations et, d'une façon plus générale et plus globale, par un manque de curiosité intellectuelle.

Des désafférentations socio-affectives, liées au désengagement, au confinement, à l'isolement socio-familial, et auxquels se surajoute presque toujours une désafférentation que l'on peut appeler affective, faite de ces états de carence affective générés par la solitude, par la perte d'identité, la mauvaise image renvoyée par l'entourage familial ou institutionnel.

Enfin, une désafférentation qu'on peut appeler psychique qui peut être liée à un authentique état dépressif.

Nous nous soutenons les uns les autres. L'obstacle devient une occasion de s'appuyer sur les autres , de « s'afférenter » et non de se replier.

Le retentissement de ces états de désafférentation en terme de fonctionnement cérébral, qui paraît à l'observation quotidienne, a été curieusement assez peu envisagé en médecine, en neurologie en particulier.

Si on essaye d'analyser ce manque d'intérêt, on peut penser qu'il est du:

A I'absence, jusqu'alors, de fondements biologiques bien identifiés à ces états de désafférentation

Sans doute aussi, à l'influence des idées en cours jusqu'à une période récente. La théorie « localisationniste » du fonctionnement du cerveau, héritée de Broca au siècle dernier, faisait schématiquement considérer le cerveau comme une sorte de réseau câblé, une structure définitivement figée et incapable de toute transformation, un assemblage de neurones à courte vie ne se reproduisant pas et donc, avec le temps, voués a une raréfaction toujours plus massive.

Cette conception a été largement remise en cause ces dernières années.

Actuellement, sans rejeter la théorie localisationniste, sans en nier la précision, sans remettre en cause la stabilité du câblage de base, on peut dire que le cerveau est une structure dynamique, en constant remaniement sous l'influence de facteurs multiples, extrinsèques ou intrinsèques.

Cette vision nouvelle a pu se développer grâce aux progrès récents des connaissances biologiques dans le domaine de la plasticité neuronale.

Ce concept, qui peut paraître évident aujourd'hui, a été unanimement rejeté par la communauté scientifique jusqu'au début des années 80.

La Neuro-plasticité : Ce terme désigne les possibilités de réparation (hémiplégies), mais surtout les possibilités de transformation du tissu cérébral, grâce au développement de l'arborisation dendritique, grâce à l'activation de synapses silencieuses, grâce à la création et au développement de nouveaux contacts synaptiques.

La synapse est sans doute le lieu le plus mystérieux de l'échange d'information

On sait, depuis une vingtaine d'années, que cette propriété qu'on pensait jusque là réservée aux cerveaux jeunes et immatures persiste chez l'animal adulte ou âgé.

La cellule nerveuse est la même au travers des milliers d'années de la vie.

Elle est faite pour communiquer !

L'extrapolation â l'homme est sans doute hasardeuse, mais tous les travaux entrepris jusqu'à présent dans le domaine, ont plaidé en faveur de la persistance de cette neuro-plasticité dans le cerveau humain jusqu'à un âge très avancé, compensant en quelque sorte cette fameuse perte neuronale physiologique.

Il est maintenant bien admis par tout le monde que, expérimentalement, un groupe d'animaux adultes, vivant dans un environnement riche en stimulations par rapport à d'autres, vivant dans un environnement appauvri, augmentent le poids de leur cortex cérébral et le nombre de leurs cellules gliales, ont des corps cellulaires plus développés, ont un plus grand nombre d'épines dendritiques et de contacts synaptiques.

Les mécanismes responsables de ces changements morphologiques, sont encore obscurs, mais il est raisonnable de penser qu'ils se déclenchent sous l'influence des stimulations. Cette hypothèse donne lieu actuellement à de nombreux travaux fondamentaux qui, petit à petit, permettent d'éclairer les mécanismes biologiques sous-tendant notamment cette neuro-plasticité qui va intervenir dans les phénomènes de mémoire (motrice ou cognitive), dans les phénomènes d'apprentissage.

Cette neuro-plasticité, favorisée par la richesse en stimulation, c'est la capacité des synapses et des réseaux synaptiques à évoluer en fonction de leur activité. Elle est donc très largement déterminée par les relations que le système nerveux central entretient avec son environnement

La motivation : Pour que l'individu s'immerge dans cet environnement jouant un rôle de stimulation constructive, il lui faut une motivation.

On connaît la place dans le bon fonctionnement de la pensée cognitive, des phénomènes de plaisir, de désir, de gratification, d'enthousiasme, de bonne ambiance affective...

Il sait que les anneaux ne lâcheront pas...

Il sait qu'il peut compter sur lui-même et sur les autres...

Et, au contraire, les effets délétères de l'isolement des états dépressifs.

Ces phénomènes de motivation eux aussi, sont encore quelque peu flous quant à leur contexte biologique, mais ils sont évidents à l'observation et jouent, sans doute, un rôle de premier plan dans cette neuro-plasticité.

Les différents types de désafférentations que nous avons décrits sont communément observés en gérontologie et se trouvent au cour d'une spirale dont les effets délétères en matière de vieillissement cérébral sont quotidiennement confirmés en clinique.

Bien que d'observation courante, ces désafférentations sont encore bien souvent occultées lorsqu'on parle d'étiologie des troubles cognitifs.

De façon très globale et très générale, ou petit dire que la désafférentation est secondaire à cette désadaptation entraînée par toutes les causes envisagées plus haut : Manque d'intérêt, solitude et isolement, désinsertion socio-familiale et perte d'identité, maternage excessif, dépression etc....

Cette désafférentation engendre alors un immobilisme psycho-moteur, aggravé parfois par les handicaps sensoriels. Cet immobilisme aura un effet cumulatif avec le vieillissement, majorant la pauvreté des contacts synaptiques, voire la raréfaction neuronale.

J.P Changeux pose bien la question de savoir si la disparition des jonctions synaptiques, la mort neuronale, ne pourraient être !a conséquence de ce qu'il appelle une "paresse fonctionnelle", d'une moindre activité : illustration au niveau du système nerveux central de cette grande loi gérontologique que tous les intervenants connaissent et observent tous les jours. La non utilisation d'une fonction, quelle qu'elle soit, en réduit les performances et accélère son vieillissement.

C'est la non utilisation d'une fonction, quelle qu'elle soit , qui réduit le plus dangereusement les capacités du cerveau avec l'âge

Donc, les désafférentations de tous ordres et l'immobilisme qui en résulte tendent à amplifier les causes qui les ont provoquées, accélérant ainsi le processus du vieillissement, avec ralentissement puis affaiblissement intellectuel, troubles psycho-comportementaux, modification de la perception du temps, indifférence, passivité, recherche de dépendance, désintéressement pour le monde extérieur qui se trouve vidé de ses objets d'investissement, troubles de la motricité, de la posture, de l'équilibre, perte, enfin des automatismes acquis !

Il s'agit bien de quelque chose de très global : Cette régression psychomotrice supprime progressivement toute possibilité adaptative.

La boucle est alors bouclée. La cause devient conséquence et tout cela conduit définitivement à la grande dépendance.

La prévention de ces états de désafférentation : Très schématiquement elle repose, avant tout, sur le développement très précoce des centres d'intérêt, dans les domaines intellectuel et culturel, sur la formation de base et le bagage culturel, mais surtout sur la curiosité, sur la formation personnelle permanente qui permettront de lutter contre l'enroutinement qui aboutit à une véritable sur-adaptation.

Nous avons souligné le danger de la désadaptation mais tout aussi dangereux est cet état d'enroutinement qui ne permet plus de comprendre un environnement en perpétuelle mutation.

Nous sommes condamnés à vieillir dans un monde qui change de plus en plus vite et auquel nous devons pouvoir nous adapter au fur et à mesure que nous avançons en âge.

Dans le domaine des désafférentations comme dans de nombreux autres en gérontologie, la prévention commence dès les plus jeunes années et doit se poursuivre tout au long de la vie:

Lutte pour le développement précoce de centres d'intérêts.

C'est ensemble, avec les autres, qu'il faut lutter contre toutes les formes d'isolement

Lutte contre tous les facteurs de désadaptation et de désinsertion psycho-socio-familiale qui menacent le sujet dans son avance en âge.

Ces bienfaits de la stimulation, intuitivement perçus depuis longtemps par les gérontologues grâce à l'observation, ont pu, empiriquement, être démontrés. Seuls les mécanismes biologique qui en découlent demeurent encore obscurs.

Cependant, la piste de la plasticité neuronale qui se fait jour depuis quelques années explique sans doute l'engouement relativement récent pour toutes sortes de stimulations et, notamment, la généralisation de programmes de prévention des troubles cognitifs, par l'entraînement mnésique.

Ces méthodes : groupes de parole, de lecture et autres ateliers-mémoire sont bien sur d'excellentes choses, mais elles ne doivent occulter ni tous les autres aspects psychosociaux de la désafférentation, ni !a motivation du sujet, essentielle dans l'application de ces programmes de stimulation

L'implication étroite de ces états de désafférentation dans les troubles du vieillissement cérébral montre bien l'intérêt fondamental d'une telle prévention. Mais la multiplicité des facteurs en cause rend bien compte du caractère, très global de cette prévention oblige à remettre en cause bien des modes de fonctionnement de notre société et constitue un des grands défis lancés à la gérontologie.

L'objectif prioritaire dans ce domaine étant, sans doute, comme dans pas mal d'autres, la redéfinition du statut et surtout du rôle des personnes âgées dans notre société.

Est-ce que celui-là sera bien

« afférenté » ?

Est-ce qu'il saura s'appuyer sur son environnement pour grandir autant qu'il lui sera possible ?

Yves LEDANSEURS
Psychologue

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